Il existe différents courants Vipassana et, après plusieurs tentatives, je suis enfin parvenu à m’inscrire à ma première retraite intensive Vipassana, telle qu’enseignée par feu Goenka dans la tradition de son maitre Sayagyi U Ba Khin (on dirait le nom d’un maitre Jedi non?). Je suis partagé, après une année très intense, entre la hâte de me retrouver face à moi-même et la peur d’être soudainement coupé de mes proches et de mes habitudes, bref coupé de la matrice. D’autant plus que ce sont 10 heures de méditation quotidienne qui m’attendent, pendant 10 jours de silence complet, sans possibilité de lire, ni d’écrire. Gloups! Je vais vraiment me retrouver face à moi-même. Comme Morpheus le dit à Neo dans l’extrait du film Matrix que je vous propose plus bas, je me sens un peu comme Alice, tombée dans le terrier du lapin blanc… C’est donc un voyage de 10 jours au coeur de la matrice qui m’attend, une vraie coupure avec le monde superposé à mon regard et qui m’empêche de voir la vérité… 😉

Lorsqu’on pratique, comme c’est mon cas, différentes approches liées à la pleine conscience et à la méditation, expérimenter une retraite Vipassana est un incontournable. Après tout, c’est l’une des plus anciennes techniques traditionnelles de méditation. Elle aurait été mise au point cinq siècle avant Jésus-Christ, par Siddhartha Gautama le bouddha, en personne. Cette méthode lui aurait permis de se libérer de toutes les souffrances et devenir un être « éveillé », un Neo. Alors pas question de faire ma chochotte, « j’irai au bout de mes rêves, là où la raison s’achève, tout au bout de mes rêves… » C’est décidé, pendant 10 jours je serai un apprenti Neo, un bouddha.

Le mot « buddha » (en sanskrit et en pāli) n’est pas un nom de personne. Ça n’est pas un nom propre mais une épithète, un adjectif, le participe passé substantivé du verbe sanskrit BUDH-, budhyate, qui signifie notamment « s’éveiller, se réveiller, reprendre connaissance, observer, reconnaître, comprendre ». Tout être humain qui s’éveille du sommeil de l’ignorance – qui s’extirpe de la matrice – et qui reconnaît le moi illusoire devient donc un bouddha: un éveillé. Bon, faut pas s’imaginer qu’on y arrive en 10 jours hein ! Vipassana n’est pas une simple pilule rouge;-) Ça n’est pas un film, c’est la pratique d’une vie, voire de plusieurs vies. Mais la promesse est séduisante: si je travaille avec application, patience et persévérance, je suis supposé recevoir toutes les instructions concrètes pour instaurer dans ma vie une technique qui permet de parvenir au but par mes propres efforts. Et ça, c’est plutôt cool non?

Début de mon 5ème jour de retraite Vipassana

3:50 du matin. Allongé sur le lit de ma chambre d’internat, je regarde le plafond faiblement éclairé par la lumière de la lune qui passe à travers les volets ajourés. J’ai déjà bien exploré le terrier du lapin blanc et pourtant j’ai encore tant à découvrir avec Vipassana! J’ai très peu dormi mais je me sens reposé, sans doute l’effet du goûter léger de fin d’après-midi qui me permet de me coucher, depuis quelques jours, avec l’estomac léger. Le gong du réveil n’a pas encore retenti et je peux entendre le doux ronronnement de mon voisin de chambre qui sommeille, le bienheureux…. Je pense: « j’ai prévu des bouchons d’oreilles et un masque de nuit mais j’ai la chance de ne pas être tombé sur un de ces bûcherons qui font parfois trembler les murs. Nous avons échangés quelques mots au tout début du séjour avant de nous donner rendez-vous dans 10 jours »… J’observe mon esprit qui vagabonde… « C’est un gars sympa. Il bosse dans l’éducation et dors avec un nounours. On dirait Elton John 😀 – Je glousse à cette idée de faire ma première Vipassana avec Elton John – Il m’a dit qu’il ne pratiquait pas vraiment mais que sa femme avait tellement changé après un passage ici en février qu’il avait décidé de s’inscrire à son tour. Courageux Elton, parce que si je ne m’imaginais pas à quel point les premiers jours sont difficiles physiquement, lui devait s’en douter. Méditer 10 heures par jour, du jour au lendemain, c’est un peu un truc de fou et mon corps s’est chargé de me le faire savoir ! »

Métaphoriquement, on nous a dit qu’avec Vipassana nous allions pratiquer une « opération chirurgicale de l’esprit », sans anesthésie… Je repense à Neo qui s’éveille de la matrice et découvre la véritable nature du monde dans lequel il vit, un choc… En fait, au départ, un véritable enfer qui a éprouvé ma motivation, ma volonté, mes intentions, mon caractère. Hier, j’ai bien cru que j’allais abandonner. Me lever simplement, réclamer mes affaires, abandonner et rentrer chez moi… Retourner dans la matrice, dans le train-train quotidien 🙁 Pourtant, j’entrevois déjà que quelque chose de profond s’est passé en moi. Mon esprit est tellement plus calme, plus clair… En arrivant ici, il bondissait d’arbre en arbre, comme un singe disparaissant au milieu d’une forêt dense de préoccupations, de projections et d’imaginations. Et puis, assise après assise, la forêt s’est éclaircie en se réduisant à une futaie, puis à un bosquet… Je ne me perds plus dans mes pensées, les choses se clarifient, comme si je reprenais mon pouvoir de décision, la capacité de diriger ma vie. 🙂 Je me sens tellement plus paisible qu’à mon arrivée. Et maintenant, lorsque je m’assois, c’est comme s’il ne restait que deux ou trois arbres dans mon esprit. Dès que ce dernier tente une échappée, je m’en aperçois dans l’instant et je le ramène paisiblement à ici et maintenant. C’est l’effet indéniable de la pratique préparatoire à Vipassana, dénommée « anapana ». Elle consiste, en gros, à observer attentivement sa propre respiration, sans la modifier d’aucune façon, puis à observer les sensations qui se produisent autour des narines.

« Malgré tout, il y a cette douleur lancinante qui traverse mon dos, sous les omoplates… Comme une barre, chaude, voire brûlante et… qui vibre, s’atténue et se renforce ! En fait cette sensation instable et douloureuse disparaît aussitôt que je bouge… Je vais donc continuer de m’étirer après chaque assise. Ça me fait tellement de bien et je pressens qu’au-delà de la douleur se cache quelque chose que je dois découvrir pour faire un grand pas sur mon chemin de vie… Oui, finalement ça fait mal mais ça ne dure pas. Avec Vipassana, je dois découvrir comment lâcher-prise, comment aller au-delà de la douleur, au-delà des apparences. Comment rester parfaitement équanime, c’est-à-dire sans porter de jugement sur ce qui se produit ici et maintenant pour moi. Je suis là pour découvrir concrètement comment ne pas rejeter ce qui fait mal et comment ne pas m’attacher à ce qui m’apporte du plaisir. Tout cela est éphémère, impermanent. Plus facile à dire pour le plaisir que pour la douleur mais, après tout, à ma connaissance, personne n’est jamais mort en faisant ce genre de retraite. Hein dis, personne n’est-ce pas ? » – 😀 😀 😀 Je rigole tout seul de ma conclusion. Le gong retentit tout au fond du couloir. Il est quatre heure du matin. Dans 30mn, après la toilette matinale, chaque apprenti Neo disposera de deux heures pour méditer dans sa chambre ou dans le hall de méditation – C’est le début de mon cinquième jour ici et j’ai hâte de découvrir ce que la journée me réserve. Il est 4:30.

Vipassana oui, mais pourquoi?

Les raisons pour lesquelles on décide de vivre ce type-là de retraite Vipassana sont très variées et les leçons qu’on en tire le sont tout autant. Chacun, en fonction de l’endroit où il se trouve sur son chemin de vie, perçoit en effet les choses au travers de ses propres filtres et, bien entendu, je ne fais pas exception à la règle. 😉 Pour ma part, je suis en quête d’universalité et l’une des choses qui m’importe, c’est l’aspect non religieux, non confessionnel, de la pratique. Je suis servi car Goenka et son maitre ont tous deux été des laïcs, pas des moines, respectivement industriel et homme politique. Apparement, ils ont oeuvré dans la société birmane et mis en pratique Vipassana, cet art de vivre proche du bouddhisme primitif, dans leur contexte professionnel, en formant des collaborateurs. Cet art de vivre non religieux nous est présenté comme un antidote universel pour éradiquer les racines, elles aussi universelles, des impuretés mentales qui sont la cause de toutes nos souffrances. J’ai nommé : le désir et l’avidité, l’aversion et l’ignorance.

Selon Goenka qui, dans ses discours, insiste largement sur son caractère universel, Vipassana serait donc une technique non-sectaire. Il faut entendre par là – d’après ce que j’ai compris – qu’elle est rationnelle, voire scientifique, au sens où chacun peut la vérifier par lui-même en utilisant sa raison. D’ailleurs, elle ne fait référence à aucun être divin, ni à aucun rituel. Le chemin proposé ne repose donc ni sur des croyances irrationnelles ni sur une foi ésotérique en qui ou en quoi que ce soit. Vipassana s’adresse aux sceptiques, auxquels GOenka recommande même régulièrement de douter sans réserve. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un doute stérile et stupide qui empêche tout examen, toute recherche, toute expérimentation, mais plutôt du doute scientifique: celui qui pousse à la recherche, qui suscite la prise en considération d’hypothèses recevables et qui pousse à tenter de les vérifier par soi-même. Et c’est exactement ce que j’attends. Je suis donc au bon endroit. 😉

La technique Vipassana peut donc être pratiquée quelque soit le culte éventuel auquel on adhère en la découvrant – notons d’ailleurs que Siddhartha n’était sans doute pas plus bouddhiste que Jésus de Nazareth n’était chrétien ou Mahomet musulman, c’étaient juste des enseignants de l’amour. 😉 Nul besoin, donc, de devenir bouddhiste pour appliquer les trois disciplines qui soutiennent la méthode Vipassana : sila, la moralité, samadhi, la maitrise de l’esprit et panna, la sagesse. Chacun prend simplement l’engagement, pendant 10 jours, de ne pas consommer de stupéfiants ou d’intoxicants, de ne pas s’adonner à un rite, ni à aucune autre technique ou pratique dévotionnelle. Pendant toute la durée de la retraite il s’agit de tester sérieusement l’approche Vipassana et de lui donner toutes ses chances en pratiquant exclusivement et totalement cette seule méthode de méditation. Ça me va. C’est pour ça que j’ai « signé ». 😀

Explorer soi-même la matrice avec Vipassana…

6:30. « J’ai bien quelques courbatures mais, étonnamment, ces deux heures de méditation dans ma chambre ont été géniales. Bon, j’ai commencé par chasser puis éclater quatre moustiques, dont trois gorgés de sang. 🙁 Ce ne sont pas mes amis et j’avoue que je n’ai aucun amour pour ces insectes qui piquent et sucent le sang, comme les poux, les tiques et autres sangsues. 🙁 Le jour où je les aimerai vraiment, peut-être serai-je devenu un bouddha… 😉 En attendant ce jour, j’ai changé trois fois de position – assis sur une chaise, en demi-lotus et à genou sur un banc de méditation – et j’ai aussi fait plusieurs fois des étirements en pleine conscience… donc je n’ai pas médité deux heures entières… Mais bon, c’était vraiment chouette! 🙂 Mon esprit est incroyablement calme et je suis parvenu à observer mes douleurs dorsales sans porter de jugement, comme si j’étais un observateur extérieur cherchant à décrire un phénomène : c’est dense, chaud, piquant, il y a une pulsation, l’intensité s’accroit puis décroit, etc. Puis je m’en suis détaché, complètement. C’est donc possible d’observer mes propres sensations avec détachement, comme si j’étais un scientifique… Il faut que je le vérifie cela tout à l’heure. Dommage que ce lyçée horticole de Tonneins soit si proche d’une route très passante »…

En marchant silencieusement dans le long couloir qui mène au réfectoire, j’observe du coin de l’oeil les apprentis Neo qui sortent les uns après les autres de leurs chambres. Comme nous ne pouvons pas communiquer même avec un simple regard, c’est fou ce que ma vision périphérique s’est développée! 😀 😀 😀 Un petit déjeuner copieux nous attend… Systématiquement je choisis une table face à un mur afin de ne pas avoir à éviter le regard d’un apprenti pendant toute la durée de mon repas en conscience. Le réfectoire a été séparé en deux espaces par des panneaux en tissu, un côté pour les hommes, l’autre pour les femmes. Et même les fenêtres qui donnent sur l’extérieur ont été recouvertes de papier afin d’éviter les flâneries contemplatives auquel l’esprit à tôt fait de s’adonner. Dans cette retraite Vipassana telle qu’enseignée par Goenka, tout est pensé pour que nous restions au fond du terrier du lapin blanc, chacun face à soi-même, le plus souvent possible… Puis vient le temps de repos, de 7 à 8:00. Certains apprentis en profitent pour se doucher, d’autres pour faire leur lessive ou pour aller s’asseoir à l’extérieur. Elton John et moi en profiterons le plus souvent pour dormir encore un peu. 😉

8:00. Au son répété du gong, depuis les étages du lycée jusque dans la cour, nous nous sommes dirigés vers le « Dhamma Hall » que j’ai surnommé la « salle d’accouchement ». C’est un gymnase apprêté pour l’occasion et c’est l’endroit où, au-delà de la souffrance, nous accouchons de nous-mêmes. De façon à éviter tout contact, hommes et femmes rentrent par deux côtés différents. Une moitié de la salle est réservée aux hommes, l’autre aux femmes. Je compte environ 55 hommes et 65 femmes tout compris: les apprentis Neo, les servant(e)s, l’enseignant et son épouse. Je suis assez étonné de voir autant d’hommes, moi qui constate le plus souvent que les femmes constituent généralement 80 à 90% des participants des stages orientés « connaissance de soi ». Dans cette retraite Vipassana la parité est plutôt bien respectée… Je me dirige vers l’endroit qui, comme pour chacun de nous, m’a été assigné pour toute la durée de la retraite. Je me trouve à l’avant dernière ligne et je découvrirai bientôt que les apprentis bouddhas qui se trouvent sur la première ligne, en partant de celui qui est le plus proche de l’enseignant, sont ceux qui ont effectué le plus grand nombre de retraites Vipassana. Idem du côté des femmes. Côté hommes, il y en a un qui vient pour la 30ème fois, son voisin pour la 7ème puis cela va en déclinant avec beaucoup d’étudiants qui reviennent pour le 2ème ou troisième fois. Tous ceux-là sont appelés « ancien(ne)s étudiants ». Et puis il y a les « nouveaux étudiants » dont je fais, évidemment, partie. Tout est très, mais alors très bien organisé jusque dans les moindres détails. C’est impressionnant. Une preuve de plus, pour moi, qu’un cadre bien fixé offre de la liberté ou, si vous préférez, qu’une organisation bien structurée facilite la vie de l’organisme. Et quand l’organisation se déstructure, l’organisme tombe malade. Ici, tout est fait pour nous libérer l’esprit de toutes les contraintes. Chapeau!

Chacun s’installe. Il y a des apprentis Neo qui s’assoient en lotus, d’autres à califourchon sur des piles de coussins – la plus élevée est faite de huit coussins et c’est un bonheur de voir l’apprenti bouddha essayer à chaque début de méditation de trouver l’équilibre sur cette montagne très instable 😀 😀 😀 Il y en a, souvent les plus âgés, qui sont assis sur des chaises placées sur le côté de la salle. Il y en a même un qui a été placé tout au fond avec le dos contre le mur, sans doute pour des raisons de santé. Je ressens beaucoup d’humanité dans ce cadre où les particularités de chacun ont été prises en compte… Il y a enfin quelques étudiants à genou sur des zafus ou, plus rarement sur des bancs de méditation. Chacun a essayé d’aménager son « espace de souffrance » aussi confortablement que possible, calant genoux, fesses ou tibias avec le plus de d’épaisseurs moelleuses possibles. De mon côté j’alterne chaque assise entre mon zafu et mon banc de méditation. Le silence s’installe petit à petit dans la salle… Le manager des hommes et celle des femmes – auxquels il est toujours possible de s’adresser pour tous les problèmes de logistique – vérifient que tout les étudiants sont bien là avant de se poser à leur tour dans l’espace réservé aux servants. Ce sont des personnes qui offrent bénévolement 10 jours de leur vie pour que nous puissions vivre cette expérience au mieux. Gratitude. Puis le couple d’assistant-enseignants entre et s’installe dans la salle, face à nous, chacun sur sa petite estrade recouverte d’un tissu blanc. D’abord madame, qui fait face aux femmes, puis monsieur, qui fait face aux hommes. Nous allons commencer dans un instant…

D’après ce que j’ai lu, Goenka aurait ouvert plus de 150 centres dans le Monde et nommé plus de 1200 assistant-enseignants entre 1982 et son décès, en 2013. L’enseignement est diffusé par le biais d’enregistrements de S.N. Goenka, qui parle en anglais ou en hindi. Suit une traduction, également enregistrée, en langue locale. Je ne cache pas que le procédé m’a beaucoup gêné au départ, ainsi qu’à plusieurs moments de la retraite: d’un côté il a l’inconvénient de limiter énormément le rôle des « enseignants » et de me donner une forte impression de « rigidité » et je me suis dit à plusieurs reprises que je préférerai un enseignement « vivant », actualisé. De l’autre côté, ce choix pédagogique a l’avantage indéniable de garantir que l’enseignement dispensé est très exactement le même quelque soit l’endroit du monde où on le reçoit ; aucun enseignant ne peut donc le modifier en y apportant sa touche personnelle, ce qui serait « la porte ouverte à toutes les fenêtres » 😀 J’ai fini par me dire que si Siddharta Gautama, Jésus de Nazareth ou Mahomet avaient pu être enregistrés de leur vivant, bien des soucis de retranscription et d’interprétation, avec toutes les conséquences qu’on connait, auraient peut-être pu être évités ou amoindris… Bref, j’ai décidé de me laisser faire et d’accepter les choses telles qu’elles me sont offertes. Une fois les consignes données par la voix profonde et vibrante de Goenka, puis traduites en français, nous voilà partis pour 1:00 de méditation Vipassana.

Au sens strict comme au figuré, Vipassana est une technique sensation’nelle !

Depuis aujourd’hui, pendant Vipassana, nous pratiquons « additthana », c’est-à-dire la « ferme détermination ». C’est cette volonté de fer qui a amené Siddharta à s’asseoir au pied d’un arbre après avoir décidé de ne pas en bouger tant qu’il n’aurait pas atteint l’illumination, le bougre! 😀 Pour nous, trois fois dans la journée pendant 1:00 entière, il s’agit quoiqu’il arrive de ne pas ouvrir les yeux et de ne pas bouger ni décroiser les bras ou les jambes. L’objectif c’est l’immobilité totale. C’est déjà ce que je pratique tous les jours à la maison mais là… Il y a des heures d’assises qui s’accumulent… 🙁 Les trente premières minutes se passent plutôt bien. Et puis… Ouille, aie… Je commence à entendre des soupirs, des micro-mouvements autour de moi, des bruissements de jambes sur les coussins qui m’indiquent que certains ont cédé à la douleur et bougé. C’est vrai que ça n’est pas facile de rester immobile, d’autant que tout « doit être » tellement calme et policé: nous sommes en Occident et l’exercice se fait « en force ». Si nous étions en Inde m’a confié l’enseignant lors d’un entretien, on entendrait roter ou péter. 😀 Ici, à Tonneins, on entend juste des gargouillis, des intestins qui grondent et, parfois, une série de rôts très discrets et bien contrôlés. Derrière moi il y a d’ailleurs un apprenti Neo qui a des boyaux tellement bruyants que je ne cesse de penser que, s’il se lâche, il faudra sans doute évacuer le hall en urgence. Je rigole intérieurement avant de revenir à mon exercice.

Je pratique Vipassana. La technique consiste en gros à scanner mon corps, partie par partie, de la tête aux pieds puis des pieds à la tête, en prenant conscience de chacune de mes sensations avec équanimité. Parfaitement immobile, je sens des gouttes de sueur dégouliner lentement depuis le dessous de mes aisselles sur mes biceps, ainsi que le long de ma poitrine et de mon dos. Même pas rafraichissantes les gouttes… 🙁 Oui la douleur est là, bien présente. Elle me tient compagnie. Mais pas question que je bouge, ne serait-ce qu’un cil. J’observe à nouveau cette sensation comme un scientifique, avec tout le détachement dont je suis capable : « c’est dense, c’est comme une brûlure qui augmente puis diminue et, au-delà ou en dessous, il y a comme une pulsation… 🙁 Tiens… Non plutôt une vibration subtile… 🙂 Tiens je ressens maintenant un frisson sur toute la tête, sur le bras et la cuisse gauche… C’est très agréable… 😀 Oh, ma douleur dorsale a complètement disparue… 😀 😀 Reste équanime. Équanime. Ah non, je sens qu’elle revient… C’est donc ça l’impermanence… Tout passe… Rien ne sert de s’attacher, la douleur comme le plaisir sont des sensations qui passent, éphémères, illusoires. D’accord, je comprends… La voix de Goenka s’élève, enfin, doucement, dans les haut-parleurs. C’est le chant de la libération qui approche. Plus que 5 minutes et je pourrai bouger, faire une pause, sortir marcher un peu, m’étirer de façon à dé-contracturer mes épaules, faire quelques auto-massages. Vivement que ça se termine, je n’en peux plus »…

De 9:00 à 11:00 du matin nous recevons des instructions et chacun a la possibilité de rester méditer dans le hall ou de pratiquer dans sa chambre. À 11:00, le gong sonne l’heure du deuxième et dernier vrai repas de la journée, végétarien bien-sûr. Je me régale de crudités et de pousses germées. Chaque jour, on nous propose en plus un ou deux féculents constitués de pommes de terre, de céréales ou de légumineuses. Il y a aussi une délicieuse tisane de romarin, de thym, de citronnelle ou de sauge, dont je me délecte. Quelquefois nous avons même un dessert chocolaté ou une pastille Vichy, le luxe… Et puis après le repas vient un temps de repos où chacun vaque, toujours en silence, à ses occupations. À midi, il est possible de s’entretenir courtement avec « l’enseignant » au sujet des questions liées à la pratique. J’en profiterai à deux reprises pendant mon séjour. Cela ne dure pas plus de 5mn mais c’est assez pour résoudre un problème ou une question sans se lancer dans des débats philosophiques. De la pratique et juste de la pratique, pas de blablabla… Il ne s’agit pas de parler mais d’expérimenter. Cette occasion de questionner « l’enseignant » est également offerte le soir après la dernière méditation de groupe.

Mais là je viens de manger et j’ai décidé d’utiliser le temps qui suit le déjeuner pour marcher à la périphérie de notre « espace de promenade ». Du côté des hommes, cet espace est essentiellement constitué d’un terrain multi-sports, goudronné et bordé d’une bande de gazon ombragé avec de vieux bancs en béton. Il y a aussi un grand pré avec un vieux cerisier sous lequel ont été disposées quelques chaises en plastique. En m’asseyant sur l’une d’elles, les pieds ont plié et je me suis retrouvé le cul par terre, dans l’herbe sèche. 😀 À moins de 200m il y a la route départementale 911, très passante. Il y a aussi une voie ferrée pas très éloignée car j’entends parfois le roulement lent de convois de marchandises. En week-end, il y a en plus le bruit des mécaniques hurlantes d’un terrain de moto-cross, à 5 ou 600 mètres à vol d’oiseau… Dommage car le site est verdoyant, dans un petit vallon d’où l’on aperçoit des bocages, des prés fleuris et dans lequel toutes sortes d’oiseaux rivalisent en faisant leurs gammes, dès le lever du jour… Mais la critique est facile car je n’imagine pas la complexité pour trouver un lieu capable d’accueillir tout ce monde pendant 10 jours, dans les conditions nécessaires à ce type de retraite, avec une séparation des hommes et des femmes, une cuisine et un réfectoire, des chambres, un extérieur agréable, etc. Ce doit être un vrai défi. Les bâtiments sont en très bon état, les chambres très confortables et les sanitaires de belle qualité. En fait, c’est le luxe… Bref, chaque jour j’ai décidé de faire le tour de cet espace extérieur afin de dégourdir mon corps. Au début de la retraite Vipassana nous n’étions que deux ou trois à faire ça mais vers la fin nous serons une bonne douzaine, peut être plus. Le tour que j’ai choisi fait environ 400 pas et je le fais trois à quatre fois chaque jour avant d’aller faire une sieste.

À partir de 13:00 la méditation reprend : 1h30 dans ma chambre puis la deuxième heure d’additthana – la ferme détermination – en groupe, suivie à nouveau de 1h30 dans ma chambre. À chaque fois les pauses me permettent de m’aménager un espace pour m’étirer, me dé-contracturer et faire le point sur mes découvertes, à mon propre sujet. L’eau d’abord trouble de mon esprit est devenue limpide. Beaucoup de choses se clarifient jour après jour, à chaque instant. À 17:00 c’est l’heure de la pause tisane citronnée au miel, pour les anciens étudiants, ou du goûter pour les nouveaux. L’occasion pour moi de déguster, en pleine conscience, les deux fruits qui nous sont proposés… et de boire une délicieuse tisane. Des choses très simples prennent une dimension exceptionnelle. Rien d’extraordinaire mais je vois l’extra dans l’ordinaire, tous ces moments merveilleux qui m’échappent à longueur d’année lorsque je vis ma vie habituelle : « l’énorme banane que je mâche très lentement à un goût sucré et une texture tellement douce et agréable en bouche que j’hésite à déglutir afin de profiter encore un peu du bonheur que ce moment m’apporte. C’est aussi cela être pleinement présent à ce qui se produit ici et maintenant pour moi. Et cette orange, quel parfum magnifique. Juteuse et sucrée à souhait. Merci la Vie »

À 18:00 vient la troisième et dernière heure d’additthana de la journée, la plus difficile pour moi et, en même temps la plus profonde ou la plus satisfaisante, je ne sais pas trop : « une longue journée vient de s’écouler au cours de laquelle j’ai pu éprouver mes intentions les plus profondes, expérimenter la réalité sensible dans laquelle je vis le plus souvent inconsciemment et travailler sur moi-même. Un travail long et difficile. Pourtant, tout est déjà passé si vite. J’ai déjà fait la moitié de la retraite et je réalise qu’en fait, ce sera très court. Demain je redoublerai d’efforts afin de profiter à fond de ce temps de rencontre avec moi-même que je me suis offert. Chaque jour j’attends impatiemment le discours de Goenka qui est diffusé de 19:00 à 20:15, oui le « discours » et pas « l’enseignement ». La nuance est subtile mais me rappelle qu’ici, chacun doit découvrir sa propre vérité. Tous les précédents discours ont été passionnants. Ils nourrissent ma curiosité et mon insatiable désir de comprendre les choses intellectuellement. Oui, le désir de comprendre… 🙁 Un vrai problème pour moi : passer de la compréhension à la pratique, ne pas me cantonner – comme je l’ai souvent fait – à saisir uniquement les concepts sans mettre les choses en application… Je comprends vite, trop vite… Je fais des liens, des comparaisons, des analogies… Je vois les concepts s’agencer dans ma tête comme dans une Mindmap virtuelle. Je catégorise, j’étiquette… Et alors ? Et ensuite ? Pratiquer, pratiquer, pratiquer encore… Voilà la clef! Je l’ai compris depuis longtemps mais ici, je l’expérimente, je l’éprouve dans mon corps et cela fait toute la différence… Je ne sais pas seulement tout de la banane, intellectuellement, je connais et j’apprécie sa saveur et ses effets sur mon corps. C’est la différence entre le savoir, d’ordre intellectuel, et la connaissance, d’ordre expérientiel. Il n’existe en effet aucune façon de faire savoir intellectuellement le goût d’une banane à quelqu’un. La seule façon d’en connaitre le goût, c’est d’en manger une« .

20:15. « Ma journée d’apprenti bouddha s’achève. C’est clair, le chemin est long. Alors que la chaleur du jour fait place à la fraicheur du soir, je fais quelques pas dans l’herbe autour du terrain de sport. Les odeurs ont changé. Des myriades de petits insectes blancs s’envolent devant mes pieds, dans la lumière rasante. J’ai l’impression de marcher vers la ligne d’horizon… qui s’éloigne à mesure que je m’en approche. Mais la destination n’est pas importante pour moi aujourd’hui. C’est le chemin qui compte et ce que j’ai encore appris, aujourd’hui et ce soir, me conforte dans le fait que c’était une bonne décision de prendre tout ce temps pour me rencontrer. La pratique de Vipassana, telle que présentée par Goenka, est une pratique exigeante. Mais les effets sur mon esprit et mon corps sont tels que je comprends que l’on y dédie une ou, peut-être, plusieurs vies… Et puis quelle merveilleuse espérance et quelle joie de voir tous ces apprentis bouddhas autour de moi… Chacun avec son histoire, sa personnalité, sa compréhension des choses, son style, ses projets, ses victoires, ses emmerdes… Chacun d’eux, comme dans la vie, va son propre chemin. Ils marchent dans cet espace de promenade dans des directions différentes, se croisent, s’arrêtent, se posent un instant par terre ou sur un banc… Je constate une fois de plus qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais chemin, pas de bon ni de mauvais sens sur le chemin, juste des êtres qui, en arpentant le chemin, apprennent à se connaitre. Je me sens plein d’amour et de gratitude d’être ici… Quel privilège d’avoir croisé la vie de ces êtres qui, comme moi, cherchent la lumière. Des Néo qui, comme dans le film Matrix, ont décidé de prendre la pilule rouge afin d’ôter le voile des apparences pour découvrir ce qui se cache derrière la Matrice et se libérer de l’illusion. Je suis un apprenti Néo, nous le sommes tous… – Le gong sonne une dernière fois aujourd’hui: il est temps de se retrouver pour une dernière demi-heure de pratique dans la « salle d’accouchement » – À 21:00, j’irai prendre une douche bien chaude et en laissant l’eau ruisseler le long de mon corps fatigué, je savourerai le plaisir d’être en vie, la joie de m’être incarné sur cette Terre, la grâce d’avoir conscience de ma propre existence sensible et de pouvoir progresser à petits pas vers la meilleure version de moi-même. Aujourd’hui, j’ai été un apprenti bouddha. Gratitude ».

Une invitation à se libérer soi-même

Vipassana signifie « voir les choses telles qu’elles sont réellement. Y suis-je parvenu ? Sans doute pas. Au mieux, pendant ces 10 jours, n’ai je entraperçu que les coulisses de la Matrice derrière le judas de la porte. Comme une mise en bouche, un avant-goût de la réalité ultime qui sous-tend le monde perceptible à travers mes six sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher et l’esprit. J’ai pu expérimenter, par l’observation attentive de mes sensations, que la réalité n’est pas ce que j’en perçois car mes perceptions sont impermanentes, fluctuantes et déterminées par mes sensations, qui le sont tout autant. Tout ce que je recherche et tout ce que je rejette repose, à mon insu, sur ces sensations qui gouvernent inconsciemment mon état d’esprit, ma vie sensible. Et c’est cela la grande illusion, la Matrice »…

Avec Vipassana, l’idée que nous sommes des « êtres sensibles » et que cela est « une chance » prend ici, pour moi, tout son sens: la méthode propose en effet une transformation de soi par l’observation de soi et, plus particulièrement, par l’attention soutenue portée à nos sensations. Elle se concentre sur l’interconnexion profonde, généralement inconsciente, qui existe entre notre esprit et notre corps. Chacun peut en faire l’expérience directe en portant une attention vigilante aux sensations physiques, impermanentes, qui se manifestent à chaque instant. Je l’ai fait, comme tous les apprentis bouddhas qui étaient avec moi. Ces sensations sont en interaction constante avec l’esprit et conditionnent le plus souvent inconsciemment notre vie sensible ; dans le sens où c’est l’interprétation inconsciente que nous donnons à ces sensations changeantes qui détermine la qualité de notre expérience : en bref, si la sensation est désagréable la vie est déplaisante, si elle est agréable la vie est plaisante et, dans un cas comme dans l’autre, c’est une illusion.

Nous sommes ainsi, notre vie durant, dans la recherche ou l’évitement, pour ne pas dire le déni, de certaines sensations assimilées depuis notre petite enfance, notre vie intra-utérine et peut-être même avant. Avec Vipassana, on entreprend un voyage d’exploration de soi, fondé sur l’auto-observation, qui propose d’atteindre la racine commune de l’esprit et du corps. Lorsqu’on y parvient, en suivant le chemin des sensations, il devient possible de dissoudre les impuretés mentales – dues à l’attachement et à l’aversion pour des phénomènes impermanents – qui causent toutes nos souffrances. Et une fois que la cause des souffrances a été déracinée, il en résulte un esprit équilibré, plein d’amour et de compassion pour tous les êtres sensibles qui vivent dans l’ignorance de la réalité impermanente de choses. Même les moustiques, les tiques et les poux 😉 Si, si 😀 … Les lois rationnelles qui guident nos pensées, nos sentiments, nos jugements et nos sensations deviennent alors claires. Par l’expérience directe que permet Vipassana, nous comprenons la nature selon laquelle nous progressons ou régressons. Nous découvrons la façon dont nous produisons de la souffrance en nous et autour de nous, ainsi que la manière de nous en libérer. La vie se caractérise alors par une conscience augmentée, l’absence d’illusions, le contrôle de soi et la paix. Voilà ce à quoi Vipassana invite chacun de nous, rien de moins.

Le cours résidentiel Vipassana de 10 jours, tel qu’enseigné par Goenka, est organisé de façon à faciliter ces prises de conscience en offrant aux participants d’apprendre les bases de la méthode et de suffisamment pratiquer pour faire l’expérience rapide de résultats bénéfiques. Aucune participation financière n’est demandée par l’organisation Dhamma Mahi, pas même pour couvrir les frais de nourriture et de logement. En théorie, tous les frais sont payés par les dons d’anciens étudiants qui, ayant suivi un cours et expérimenté les bénéfices de Vipassana, désirent offrir à d’autres la même occasion unique. En pratique, au moment de récupérer ses affaires, chacun est invité à faire un « dana », c’est-à-dire un don de son argent et/ou de son temps en fonction de ses possibilités. J’ai pu partir en disant que je ferai un don par virement à partir de chez moi, sans que personne ne me mette aucune pression. Si vous vous interrogez à ce sujet, la méditation Vipassana telle qu’enseignée par feu Goenka n’a vraiment rien d’une secte.

J’ai découvert à la fin de la retraite que beaucoup d’apprentis Neo étaient de grands débutants en méditation. Il y en avait même un qui, à 62 ans, n’avait jamais croisé les jambes une seule fois dans sa vie. Alors oui, vivre une retraite Vipassana telle qu’enseignée par Goenka est une expérience éprouvante et vous aurez – que vous soyez expérimenté ou pas – les fesses tellement talées que vous rêverez de vous en commander une nouvelle paire en rentrant chez vous. 😉 Elles seront même devenues si sensibles que vous pourrez lire du braille… 😀 Mais, blague à part, si vous êtes en quête de vous-même, que vous êtes prêt à faire face aux quelques désagréments auxquels le côté intensif de la méthode vous expose, vous explorerez sans doute des aspects de votre personne que vous n’aviez jamais entrevu. Vous vivrez d’importantes prises de conscience et vous quitterez probablement l’aventure avec l’envie d’y revenir régulièrement. C’est mon cas et c’est celui de toutes les personnes avec lesquelles j’ai pu échanger à la fin de la retraite. Une fin qui n’est qu’un commencement car, pour maintenir les bienfaits acquis pendant l’expérience, de nombreuses recommandations nous sont données, dont celle de méditer formellement – c’est-à-dire assis – une heure le matin et une heure le soir. Pour le matin c’était déjà le cas pour moi. Pour le soir, il faudrait que j’allonge ma pratique de 45 mn. Un véritable défi pour l’année à venir…

Mais c’est ça qui est bon, non ?

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Jean-Marc Terrel
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