Dans l’article précédent, « Spiritualité et Travail sont-ils compatibles?« , il nous est apparu que la spiritualité est une démarche qui ne se limite pas au cadre des religions mais qui, en réalité, fait partie des questionnements humains naturels de tout un chacun. Nous avons défini la spiritualité comme étant la recherche – en soi, au-travers de soi et au-delà de soi – du sens et du rôle de sa propre existence au sein de L’Univers. Enfin, nous avons supposé que si la spiritualité s’éprouve avant de se penser, dans un contexte de travail, on devrait pouvoir identifier une personne « spirituelle » par le fait qu’elle incarne un comportement qui manifeste l’attachement à des valeurs qui sont le fruit de sa recherche, pour ne pas dire de sa quête. Alors, à quoi peut ressembler la spiritualité au travail?
Spiritualité et travail, comment trouver l’équilibre?
S’il s’agit d’incarner des valeurs, rappelons tout d’abord que:
- d’une part, certains entrepreneurs trop « matérialistes » peuvent oublier qu’il est impossible de développer une affaire « saine » et durable sans se respecter soi-même, ses associés, ses employés, ses clients, ses fournisseurs et son environnement – ce qui suppose d’élever un peu son « esprit » au-delà des seules contingences matérielles ;
- et que, d’autre part, les personnes généralement considérées comme « spirituelles » peuvent facilement oublier qu’on ne peut diriger une organisation de façon saine et durable sans structure et contrôle financier – ce qui suppose d’envisager son rôle et ses actions de dirigeant(e) de façon tout à fait pragmatique, parfois même terre-à-terre.
Comment alors trouver le juste équilibre entre la nécessité de faire face aux réalités d’un système économique et financier, auquel il est difficile d’échapper, tout en satisfaisant la nécessité pour toutes les parties prenantes de l’entreprise de trouver/donner du sens à ce que l’organisation accomplit? Est-ce seulement possible?
Deux cas de figures peuvent donc se présenter:
- On peut, bien entendu, ne pas « être spirituel », c’est-à-dire n’accorder aucune importance, voire aucun crédit, au sens et au rôle d’une supposée place dans l’Univers. On peut d’ailleurs même en nier totalement l’existence.
- Ou alors on peut se retrouver dans une démarche plus ou moins concrète de questionnement, voire de recherche, du sens et du rôle de notre propre existence au sein de L’Univers. On peut donc, dans ce sens, « être spirituel ».
Valeurs, croyances, comportements – le tronc, les branches et les fruits…
Dans un cas comme dans l’autre l’idée est simple: tout ce à quoi nous croyons a, au final, un impact visible sur nos comportements observables: autrement dit, nos croyances se manifestent dans la réalité au travers de nos comportements et/ou du sens que nous attribuons aux évènements qui se produisent dans nos vies. Tout cela est la « manifestation visible » de ce à quoi nous accordons de l’importance. Or ce qui est important pour chacun de nous est directement relié à notre culture, à notre éducation et à notre vécu dont sont issues nos croyances. Et nos croyances les plus « fortes » – comme par exemple: « il faut être poli », « on doit respecter ses ainés », « il faut toujours dire ce qu’on pense », « le travail c’est la santé », etc – sont elles-mêmes liées à nos valeurs. Et nos valeurs sont des idéaux que nous cherchons, le plus souvent inconsciemment, à satisfaire : la politesse, le respect, la vérité, l’amour, la réussite, le pardon, le partage, etc. Autrement dit, nous construisons autour de nos valeurs des croyances qui se manifestent dans nos comportements, exactement comme un arbre « construit » autour d’un tronc, des branches qui porteront des fruits.
C’est en respectant le « tronc de nos idéaux », nos valeurs, que non seulement nous parvenons 1) à donner du sens à ce que nous vivons mais aussi 2) à trouver une forme de contentement au travers de nos actions. Bien entendu certaines de nos croyances peuvent évoluer au cours d’une vie, parfois même de façon radicale. Mais, lorsque cela se produit, c’est à mon avis parce qu’elles sont « proches de l’écorce de notre être que de la sève ». Ce sont par exemple des « croyances de circonstance », que nous avions adoptées temporairement pour nous adapter à un milieu social ou professionnel, mais sans jamais les assimiler complètement. Par exemple : « le chef a toujours raison », « pour réussir tous les coups sont permis », « chacun pour soi et Dieu pour tous », « sois belle et tais-toi », etc.
Nos valeurs, en revanche, sont bien plus profondes, bien plus stables et ancrées dans notre inconscient. Si, par exemple, j’agis au quotidien en partageant mon temps et mes ressources, c’est peut-être parce que je veux satisfaire la valeur du « partage » ou de « l’harmonie ». C’est un idéal, quelque chose de très important pour moi, qui me touche et que j’ai besoin de « nourrir » ou de satisfaire au travers de mes comportements. Ce que je crois au sujet du partage ou de l’harmonie pourra évoluer avec le temps mais il est fort probable que la valeur « partage » ne me quitte jamais ; au pire descendra-t-elle dans mon « échelle des priorités » de valeurs.
Dans un contexte professionnel, on peut donc dire que:
- d’une part, l’absence de satisfaction des valeurs devient donc observable au travers des manifestations comportementales: engagements non tenus, conflits de territoires, manque de coopération, infantilisation voire humiliation du personnel, tyrannie hiérarchique, absentéisme, etc.
- d’autre part, la présence de valeurs fortes est également observable: implication, initiative, coopération et considération sont des comportements fréquents et attendus dans un contexte spirituel, c’est-à-dire qui fait sens.
Dans ce dernier cas, d’une part, c’est l’organisation tout entière qui s’engage à favoriser le bien-être au travail, l’initiative et le respect mutuel et, d’autre part, chaque individu devient responsable personnellement du bien-être de l’ensemble et inversement.
Ceci étant dit, parler de spiritualité au travail ne devient-il pas – tout à coup – beaucoup plus naturel?
Dès lors que l’on se défait des a priori religieux pour s’attacher à la simple satisfaction de ses valeurs – au travers des actions ou comportements – tout devient plus naturel, y compris dans un contexte de travail. Du coup, dans un contexte professionnel, parler de spiritualité amène à se poser la question de savoir comment créer du sens et de l’unité dans la diversité en se réunissant autour de valeurs qui donne du sens à l’action individuelle et collective?
Et comme je crois que la spiritualité s’éprouve avant de se penser, l’action prime sur les mots même si la signification ces derniers doivent être définis, par exemple par le biais d’une charte des valeurs, d’un credo ou d’un énoncé de mission professionnelle. Ce travail de clarification du but et du sens de l’action étant fait – ce qui est loin d’être la cas dans l’immense majorité des organisations – être spirituel au travail ne consisterait donc pas à adopter une attitude romantique au détriment du pragmatisme indispensable pour accomplir la raison d’être de l’organisation. Être spirituel au travail consisterait plutôt à favoriser la cohérence entre les valeurs, croyances et comportements individuels et les valeurs, croyances et comportements individuels collectifs.
Je crois que, comme dans l’exemple de Charles Plumb, si chaque maillon d’une entreprise comprenait vraiment le sens et le rôle de son action au sein de l’organisation, la dimension spirituelle du travail serait ainsi satisfaite! En « harmonisant » les besoins de l’individu avec ceux du groupe – au travers de l’explicitation de l’importance de la place et du rôle de chacun – les dimensions individuelle et collective pourraient alors parfaitement faire bon ménage, de façon parfaitement laïque. L’équilibre entre unité et diversité serait donc maintenu de façon à créer l’autonomie et l’harmonie, deux valeurs fréquemment citées par les « leaders spirituels ».
Qu’est-ce qu’un « leader spirituel » ?
Vous l’avez compris, une organisation spirituelle est focalisée sur une vision, un but et des objectifs partagés. En tant qu’entité elle fixe un cap et des règles qui favorisent le bien-être des individus qui la composent de façon à accomplir son objet. L’organisation dans son ensemble à une vision qui est partagée et alimentée par chacun de ses membres. Cette vision constitue en quelque sorte la colonne vertébrale de l’ensemble, ce qui soutient l’édifice. Chaque vertèbre représente une valeur partagée par chaque membre, qui permet de satisfaire le besoin de sens individuel et collectif, tout en régulant les relations entre les parties.
On peut légitimement supposer que tout leader, qu’il se considère spirituel ou non, agit selon des valeurs plus ou moins conscientes. Le fait d’identifier ces valeurs et d’apprendre à fédérer autour d’elles est un savoir-faire important pour développer une organisation pleine de sens pour l’entrepreneur, ses associés, ses collaborateurs, ses fournisseurs et ses clients. Il n’existe évidemment pas de formule toute prête: il faut d’abord prendre conscience de l’importance qu’il y a à respecter ses propres valeurs. Ensuite, il est utile de formuler les valeurs essentielles qui donneront la direction, fédèreront chacun des membres de l’équipe et, donc, qui auront au final un impact sur les clients et sur les résultats qui seront produits au final. Il faut alors apprendre à utiliser la vision et les valeurs de l’organisation comme filtre préalable à toute décision ; en se demandant par exemple « comment tel ou tel choix satisfait-il (accomplit-il) la vision et les valeurs de l’entreprise »? Chacun doit être formé sur l’importance structurelle de la vision et des valeurs. Après les avoir discutées pour se les approprier, chacun doit s’engager à les soutenir et à les faire respecter.
Ainsi, on créé une « culture d’entreprise » qui soutient la croissance personnelle et collective tout en donnant du sens. Selon moi, c’est cela la spiritualité au travail: la pratique quotidienne d’une vision et de valeurs partagées qui cristallise le sens – et donc la spiritualité – que chacun donne à ce qu’il fait.
Un leader, de mon point de vue, c’est quelqu’un qui porte une vision et se met au service de celles et ceux qui, ensemble, vont contribuer à l’accomplissement de la vision. C’est un catalyseur, quelqu’un qui fixe le cap puis qui aide tout ceux qui entrent au service de la vision – et non pas du leader – à donner leur meilleur d’eux-mêmes, à se révéler et à s’épanouir dans leur rôle au service du groupe. Devenir, au 21ème siècle, un « leader spirituel professionnel » – soyons fous ! – consiste donc à élaborer un cadre spirituel et professionnel qui donne du sens aux actions quotidiennes tout en respectant chaque individu dans ses différences. Et, selon moi, c’est la responsabilité du leadership de parvenir à cela.
Identifier ce qui pourrait caractériser une « organisation spirituelle » peut sans doute nous aider à comprendre le rôle que joue la spiritualité (et donc l’identification de valeurs autour desquelles fédérer) dans l’organisation, la façon dont elle peut influencer les comportements et, en conséquence, les résultats. Cela nous permettrait de comprendre l’intérêt que pourrait avoir une spiritualité au travail pour la communauté professionnelle.
5 Caractéristiques d’une « entreprise spirituelle »…
Selon Kent Rhodes, consultant en leadership organisationnel, voici cinq caractéristiques, qui sont aussi des valeurs, qu’un leader spirituel peut veiller à mettre en place dans son organisation:
- Faire « durable »
La croissance illimitée ne peut être la règle dans un monde au ressources limitées. Une organisation spirituelle agit de façon durable, c’est-à-dire avec la préoccupation de respecter et d’utiliser au mieux les ressources. L’organisation doit évaluer son impact à long-terme ainsi que les implications non éthiques de ses actions, qui pourraient affecter ses affaires.
- Apporter sa contribution
Au-delà de l’excellente contribution d’un produit ou d’un service, l’organisation spirituelle contribue à la croissance de ses collaborateurs, de ses fournisseurs et, de façon ultime, à un monde meilleur. En tant que leader, votre rôle consiste à fournir au monde des solutions au-travers de produits et services qui rendent le monde plus beau.
- Récompenser la créativité
La créativité est une nécessité vitale pour toute entreprise spirituelle. Le monde change et vite! Plutôt que de simplement s’adapter, le leader spirituel anticipe et génère le changement. Il considère que la créativité est en chacun et doit être entretenue. Pour cela, il met en place des processus créatifs de groupe et favorise l’initiative individuelle. Chacun devient ainsi collaborateur et co-créateur de la réussite collective.
- Favoriser l’intégration
Le domaine du travail est devenu une source d’exclusion pour beaucoup: chômeurs, travailleurs handicapés, minorités ethniques ou sexuelles, etc. Une organisation spirituelle favorise l’inclusion et la mixité d’horizons culturels ou professionnels pour sa richesse et son effet synergique potentiel. Un important sentiment d’appartenance à une communauté peut en résulter, grâce à une vision partagée.
- Promouvoir les talents
Les organisations sont conscientes depuis longtemps des avantages qui existent lorsque des collaborateurs partagent des valeurs. Le mot « collaboration » prend alors tout son sens. En reconnaissant que la recherche personnelle de spiritualité et de réalisation n’est pas nécessairement séparée du travail, les organisations jettent les bases qui engendrent la compréhension et la coopération entre les employés. Les entreprises qui comprennent ce qu’est la spiritualité au travail vont au-delà des encouragements à l’apprentissage et à la croissance personnelle: elles aident les employés à développer le sentiment d’une « vocation » ou l’identification de la passion de leur vie et leur travail. Ces entreprises mettent l’accent sur la découverte et l’utilisation appropriée des dons personnels et encouragent leurs employés à utiliser leurs talents uniques dans l’organisation.
Conclusion
Si vous décidez de devenir un leader spirituel ou un « employé spirituel », prenez garde en cherchant à mettre en oeuvre ces caractéristiques: ne reprenez pas de la main gauche ce que vous avez mis en place avec la main droite. Soyez intègre, congruent. Autrement dit, prenez la peine d’être cohérent entre ce que vous pensez, ce que vous dites et ce que vous faites.
Appliquez-vous à vous-même les caractéristiques que vous choisissez et soyez un exemple pour ceux qui vous suivent. Même si chacun à évidement le droit à l’erreur, un seul faux geste pourrait décrédibiliser tout l’ensemble de la démarche: pensez ce que vous dites, dites ce que vous faites et faites ce que que vous dites. Bref, soyez cohérent et intègre. Souvenez-vous aussi de ce propos que l’on attribue, peut-être à tord, à André Malraux: « le XXIème s. sera spirituel ou ne sera pas ».
À chacun de faire son choix.
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